Edito

Faire du bruit, du raffut, parler plusfort, faire grand ramdam sontbien souvent considérés commela marque du succès et de la valeurd’une action.Si le vacarme n’exclut pas la présence decontenu et de sens et peut même en êtrel’une des composantes, le boucan a biensouvent pour effet – si ce n’est pourfonction – de brouiller la perception,empêcher la réflexion, masquer parfoisl’inconsistance voire la vacuité de cequi est proposé.Le silence quant à lui peut aussi êtrel’expression du vide, au sens du creux.Il peut aussi résulter d’une injonction,d’un ordre de se taire, de se soumettreà une autorité autoritaire.On peut aussi être victime du silence,celui qui résulte d’un empêchement,d’une incapacité à surmonter une émotion,un choc, une menace.Mais le silence est surtout ce qui,en toutes circonstances, nous renddisponible, ouvert. Le silence nous relieà nous-mêmes et favorise ensuite le vraiéchange avec l’autre, l’extérieur.Cette expérience de l’intime est exigeante ;elle n’est pas dans l’air du temps.Lorsque Dominique Dupuy vint à Chaillotproposer ces “silences”, un monde s’estouvert, dessinant d’emblée de fort beauxet nombreux chemins à parcourir,à éprouver, à partager.Ce projet s’est aussitôt défini commecelui de multiples collaborations avec desindividus et des institutions de diversesnatures, tous et toutes se sentantprofondément concernés et désireuxde décliner chacun à leur manière la belleinvitation de Dominique Dupuy.Ce document donne la parole à quelquesunset quelques-unes des “Silenceux”et indique le calendrier général desdix-huit mois de ce passionnant parcours.Prêtez attention aux différentsrendez-vous que nous vous proposons.Je souhaite que, loin pour un tempsdu brouhaha et de l’agitation,nous puissions nous approcher de cet étatbien connu mais si mystérieux,si troublant et si apaisant tout à la fois.Didier Deschamps, directeurdu Théâtre National de Chaillot

Jean-Marie Durand Edito

P our un journal comme Les Inrockuptibles, pensé dès ses prémices comme le réceptacle des sons dissonants et des voix révoltées surgies des tréfonds de la scène musicale postpunk du milieu des années 1980, le silence est une incongruité apparente. A son ordre impérieux, nous avons toujours voulu opposer le brouhaha d’un monde qui chante et qui hurle. Parler, entendre, converser, rire, contester : tout ce qui meut  un journal comme celui-ci se déploie dans une logique inversée à celle du silence. Mais est-ce si sûr ? Comme chez Bergman, comme chez Antonioni,  où le spectateur ne respire qu’à la mesure du silence qui flotte entre les personnages, comme chez Philippe Katerine qui nous exhortait à “couper le son”, pour mieux repartir dans l’énergie vitale de la musique, nous savons que le silence nous est cher et que, sans lui, rien d’éclatant ne serait possible. Une économie  du silence autant qu’une politique du silence sont des horizons qui nous éclairent  à condition d’en faire bon usage. Si le silence se prête aujourd’hui à un travail historiographique, comme le souligne le récent livre d’Alain Corbin, Histoire  du silence, il s’agit ici moins d’en faire l’histoire totale que de saisir ses fragments épars dans nos vies, pour comprendre ce qu’il dit de nous et du monde. Comme  il existe une sagesse du danseur, la sagesse du silence nous ouvre ses bras. Sachons nous y lover.

Jean-Marie Durand, rédacteur en chef adjoint des Inrockuptibles